
Nous connaissions de longue date l’anglomanie galopante d’André Hellé, via ses multiples représentations des Gardes de la Maison royale coiffés de leur haut bonnet en poil d’ours brun1. Depuis ses débuts d’illustrateur de presse, Hellé imprima sa fascination pour les uniformes britanniques sur tous les supports artistiques dont il put disposer.
Prétexte à dessins humoristiques, satires politiques, albums et jouets pour enfant, nous découvrons à présent, ces mêmes tuniques rouges (avec ou sans bonnet à poil) sur des aquarelles originales, probablement croquées à Londres, lors d' équipées touristiques outre Manche.
Dès 1909 et alors qu’il entame une carrière d’ensemblier de la chambre d’enfant, Hellé s’amuse à compacter une rangée de Coldstream guards sur une frise de papier peint pour la célèbre firme Tekko et Salubra2.
L’année suivante, des quilles d’appartement dites Grenadier guards (hauteur 29 cm) font une première apparition dans le catalogue de Noël des Magasins du Printemps.
Leur corps en cartonnage et leur large bonnet de feutre (Ht : 29cm), spécifiquement destinés à amortir toute nuisance sonore, leur assurent un prompt succès auprès de la clientèle parentale. L’engouement pour ces quilles aux bonnets surdimensionnés est tel, qu’elles reviendront orner bien d’autres catalogues d’étrennes et annonces publicitaires, sous le crayon de nouveaux graphistes.
Dans la même veine, Hellé sera commandité en 1915 par la société Dean and Son3 pour illustrer un jeu de quilles militaires en tissu bourré. Baptisées Tommy Fuzbuz4 en référence à leur bonnet à poil, ces quilles patriotiques furent exclusivement commercialisées en Grande Bretagne, assorties de deux balles en laine feutrée et d’un livret d’accompagnement dessiné par une certaine Gladys Hall - à la solde de l’éditeur. Hellé eut-il connaissance de cette interprétation douceâtre ?

Comment conclure ce billet sans explorer la Boîte à joujoux personnelle d’André Hellé - source vive de sa créativité ? Parmi les nombreux modèles de soldats de bois disponibles dans les bazars et bimbeloteries de l'époque, on pouvait couramment trouver des soldats prussiens en casque à pointe, au même titre que des gardes anglais en bonnet à poil ou des soldats français en shako à pompon !
Nous savons, par ses écrits autobiographiques, combien l’auteur resta attaché à ces « joujoux d’un sou » de fabrication allemande6, qu’il conserva parfois depuis l’enfance et qui se succédèrent à rythme soutenu (et parfois lassant) dans ses multiples activités artistiques. Leur esthétique tendre et naïve finit par devenir sa marque de fabrique et continue de nos jours, à lui tenir lieu de signature.
BM.
NOTES
1) Haut bonnet à poil, emprunté à l’origine aux Grenadiers à pied de la Garde impériale de
Napoléon 1er.
2) Tekko et Salubra : célèbre manufacture suisse de papiers peints, frises et toiles de tenture lavable, qui éditera bien d’autres dessins pour enfants d'André Hellé.
3) Dean’s Rag Book Co: inventeur du livre « indéchirable » en tissu lithographié à la fin du XIXe siècle. La société Dean produisit également des jouets et des poupées en tissu bourré.
4) Tommy (Atkins) est le surnom générique du fantassin britannique pendant la première (et la seconde) guerre mondiale. Fuzbuz fait ici référence au bonnet à poil (Fuzz : duvet).
5) Série de 6 cartes postales, éditée chez Longuet et présentée dans l’exposition - L’image de guerre populaire - au Musée des Arts Décoratifs à Paris, de novembre 1916 à janvier 1917.