jeudi 17 octobre 2019

André Hellé, Olé !




Un jouet inconnu d'Hellé, La Course de taureaux...

Entre 1893 et 1914, la France connaît une vague d’enthousiasme pour les « courses de taureaux à la mode d’Espagne », plus communément appelées « corridas ». Ces courses tauromachiques, bientôt relayées dans les départements méridionaux, engendrent la construction de monumentales arènes en province, mais aussi à Paris, dans le cadre de l'Exposition universelle de 1889. C’est ainsi que verront le jour Les Arènes Parisiennes, La Plaza de Toros de l'Exposition et surtout La Gran Plaza de Toros du Bois de Boulogne.


 Affiche de 1889 (Gallica)



Les spectacles suscitent d’innombrables articles, doublés d’une abondante iconographie et sont rapidement encadrés par la Société Protectrice des Animaux (la SPA, fondée en 1845), qui préconise « un simulacre des véritables courses de taureaux, sans maltraitance de l’animal, ni effusion de sang ».

C’est à Paris en 1908, au second Salon des Humoristes, qu’André Hellé, dessinateur et satiriste de presse, se saisit du sujet pour présenter une version parodique, sous forme de pittoresques jouets de bois tourné et peint (37 pièces au total). Rappelons que c’est dans cette même manifestation annuelle que Caran d’Ache, Poulbot, Benjamin Rabier et bien d’autres artistes-illustrateurs, pourront exposer leurs premiers jouets, dits « artistiques ». Le « Renouveau du jouet français »  était en marche !



La course de taureaux, 1908 - Collection privée

 Alguazil



Sous l’œil amusé d’Hellé, rien ne manque au défilé officiel : ni les gendarmes du spectacle, les « Alguaziles » lourdement vêtus de noir, qui incarnent l’autorité en piste ; ni le « Picador », cavalier aux culottes jaunes et chapeau de feutre à large bord ; ni le cheval à l’œil fermé d’un bandeau (pour masquer la vision menaçante du taureau), ni les « Banderilleros » aux bras symboliquement prolongés de deux flammes rouges (les banderilles) ; ni les quadrilles de « Toreros » à pied, en cravate de soie, ceinture colorée, toque d’astrakan, culottes resserrées aux genoux et bas de coton blanc ; ni le fier « Matador » en habit de lumière, pointant son épée sur le taureau massif ; ni l’âne et son muletier, destinés à évacuer le corps de l’animal selon la tradition espagnole.

Tout ici semble participer à une scène carnavalesque, un joyeux pastiche des jeux du cirque, où, même les cornes gigantesques du taureau ne parviennent pas à gommer son aspect gauche et débonnaire, si éloigné de la fureur des combats traditionnels. Comme souvent chez l’artiste, la farce mène le crayon, le pinceau et le tour à bois.


Picador

 Poseur de banderilles

 Matador

Toreros à pied




Malgré un superbe état de conservation, l’exemplaire ici photographié, qui est le seul connu à ce jour, présente quelques manques inévitables. Outre un torero manchot, l’âne a également perdu ses longues oreilles, les chevaux - une ou deux pattes, le matador - sa cape rouge (la muleta), le picador - sa longue hampe etc etc. Fort heureusement, une gravure publicitaire d’époque, permet de compléter la scène des quelques accessoires égarés par le temps.



Publicité américaine, NY 1915



On s’amusera également à relever le logo d’André Hellé, tamponné en rouge sur la patte du taureau, autant que sur le pied torique de tous les personnages : un cercle contenant ses initiales, qui s’apparente singulièrement à nos émoticônes actuels. Preuve que ce marquage fut utilisé par l’artiste dès 1908, avant le dépôt de marque en 1910 !

Dépôt de marque INPI 1910


Notons enfin que la signature autographe et datée de l’artiste figure sur la patte avant d’un des chevaux. C'est une indication très probable qu'il s'agit d'un exemplaire d'exposition, sans doute celui du Salon des Humoristes.     

B.M.



Tampographie du logo A. H.   /    Signature autographe


    
Hauteur des jouets : Taureau : 8 cm, Torero : 13 cm, Picador : 15 cm, Cheval : 14,5 cm, Alguazil (le tronc-jambes fixées sur le cheval) : 10 cm.