dimanche 12 février 2023

ANDRE HELLE AU POINT DE CROIX

 

Drôles de bêtes, André Hellé, Edition Tolmer Paris 1911






  


Quand André Hellé publie Drôles de bêtes en 1911 chez le maître-imprimeur Tolmer, il choisit d'ornementer chaque tête de chapitre d'un portrait animalier humoristique, dans une vision proche de la sensibilité enfantine. Jugez du TIGRE !

 

Utilisant la couleur de fond (ici un orange profond) comme une ressource à part entière, l'artiste se contente de préciser les signes essentiels de l'espèce et ne trace que les larges rayures noires de l'animal, en s'appuyant astucieusement sur quelques aplats de couleur blanche. Le tour est joué...c'est votre oeil qui re-compose la silhouette de l'animal ! 

Les coloris intenses, appliqués (un à un) au pochoir par les ouvrières de l'atelier Tolmer, nous envoûtent par leur précision de calage et leur luminosité... Est-ce par admiration que le tigre ne cesse de ciller de ses yeux vert-émeraude ?

 

Professeure de dessin par nécessité, mais surtout brodeuse par passion, Mme Angèle Hellé sut accompagner les créations de son mari en les interprétant au fil de soie sur des coussins, voiles de lit d'enfant, portières et tapis de nursery.



Angèle aurait probablement aimé cette transcription du tigre au point compté. Il aura fallu 29.900 points de croix pour suivre la grille géante, composée au plus près du portrait initial. Aux deux artistes obstinés, Sylvie et Philippe Marie, nous adressons nos compliments les plus vifs
BM




 



 


 

 

dimanche 8 janvier 2023

GOD SAVE THE KING


Nous connaissions de longue date l’anglomanie galopante d’André Hellé, via ses multiples représentations des Gardes de la Maison royale coiffés de leur haut bonnet en poil d’ours brun1. Depuis ses débuts d’illustrateur de presse, Hellé imprima sa fascination pour les uniformes britanniques sur tous les supports artistiques dont il put disposer.

 

Prétexte à dessins humoristiques, satires politiques, albums et jouets pour enfant, nous découvrons à présent, ces mêmes tuniques rouges (avec ou sans bonnet à poil) sur des aquarelles originales, probablement croquées à Londres, lors d' équipées touristiques outre Manche. 

 

 Dès 1909 et alors qu’il entame une carrière d’ensemblier de la chambre d’enfant, Hellé s’amuse à compacter une rangée de Coldstream guards sur une frise de papier peint pour la célèbre firme Tekko et Salubra2

 

L’année suivante, des quilles d’appartement dites Grenadier guards (hauteur 29 cm) font une première apparition dans le catalogue de Noël des Magasins du Printemps.

Leur corps en cartonnage et leur large bonnet de feutre (Ht : 29cm), spécifiquement destinés à amortir toute nuisance sonore, leur assurent un prompt succès auprès de la clientèle parentale. L’engouement pour ces quilles aux bonnets surdimensionnés est tel, qu’elles reviendront orner bien d’autres catalogues d’étrennes et annonces publicitaires, sous le crayon de nouveaux graphistes.

 

Dans la même veine, Hellé sera commandité en 1915 par la société Dean and Son3 pour illustrer un jeu de quilles militaires en tissu bourré. Baptisées Tommy Fuzbuz4 en référence à leur bonnet à poil, ces quilles patriotiques furent exclusivement commercialisées en Grande Bretagne, assorties de deux balles en laine feutrée et d’un livret d’accompagnement dessiné par une certaine Gladys Hall - à la solde de l’éditeur. Hellé eut-il connaissance de cette interprétation douceâtre ?



  Engagé volontaire dans les services de camouflage lors de la première guerre mondiale, l’artiste n’en produisit pas moins de nombreux dessins politiques, jouets militaires et albums pour enfants dans le cadre de l’effort de guerre, dont une série de 6 cartes postales glorifiant les Chants nationaux des Alliés5.
 

 

Sur la carte dévolue à l’hymne national du Royaume Uni, l’illustrateur ne pouvait que convoquer le sempiternel « bonnet à poi l» et le non moins célèbre « fantassin Tommy4 » pour encadrer les premières notes du God save the King.
 
 

Comment conclure ce billet sans explorer la Boîte à joujoux personnelle d’André Hellé - source vive de sa créativité ? Parmi les nombreux modèles de soldats de bois disponibles dans les bazars et bimbeloteries de l'époque, on pouvait couramment trouver des soldats prussiens en casque à pointe, au même titre que des gardes anglais en bonnet à poil ou des soldats français en shako à pompon ! 

 

Nous savons, par ses écrits autobiographiques, combien l’auteur resta attaché à ces « joujoux d’un sou » de fabrication allemande6, qu’il conserva parfois depuis l’enfance et qui se succédèrent à rythme soutenu (et parfois lassant) dans ses multiples activités artistiques. Leur esthétique tendre et naïve finit par devenir sa marque de fabrique et continue de nos jours, à lui tenir lieu de signature.

BM.

 

NOTES


1) Haut bonnet à poil, emprunté à l’origine aux Grenadiers à pied de la Garde impériale de   

Napoléon 1er. 


2) Tekko et Salubra : célèbre manufacture suisse de papiers peints, frises et toiles de tenture lavable, qui éditera bien d’autres dessins pour enfants d'André Hellé. 

 

 3) Dean’s Rag Book Co: inventeur du livre « indéchirable » en tissu lithographié à la fin du XIXe siècle. La société Dean produisit également des jouets et des poupées en tissu bourré. 


4) Tommy (Atkins) est le surnom générique du  fantassin britannique pendant la première (et la seconde) guerre mondiale. Fuzbuz fait ici référence au bonnet à poil (Fuzz : duvet).

 

5) Série de 6 cartes postales, éditée chez Longuet et présentée dans l’exposition - Limage de guerre populaire - au Musée des Arts Décoratifs à Paris, de novembre 1916 à janvier 1917.

 

6) La région forestière de l’Erzgebirge en Allemagne, se spécialisa dans la fabrication de jouets en bois tourné à partir du 18e siècle et domina le marché mondial jusqu’à la première guerre mondiale.


 



 

 


 
 


 

 

 
 

 
 
 
 

 

 

 

 

 

 

lundi 2 janvier 2023

ALPHABET de la GRANDE PAIX

Cet album rare, édité à LA RENAISSANCE DU LIVRE en 1920, permet à André Hellé de matérialiser la première lettre de l'alphabet par le symbolique "JOUR de l'AN ", mais surtout d'évoquer l'inestimable retour à la paix, après "les années de tuerie" de la Grande Guerre.

vendredi 30 décembre 2022

BOÎTE de JOUETS de NOËL

 

Cadeau-surprise pour les fêtes de Noël 1918, selon la carte illustrée par Hellé. Ouvrirons-nous le paquet ?



Chaque fin d'année, ces caisses de bois (en fait de simples caisses d'expédition) faisaient leur apparition dans les catalogues de jouets des Grands Magasins, ainsi que dans les bazars-bimbeloteries, et étaient destinées à garnir le sapin, comme l'indique le titre sobrement pyrogravé sur le couvercle.

 

Reconstitué par une amatrice zélée de l'illustrateur ( Marianne Chambrette, restauratrice de jouets anciens à Tulle ) voici un bel assortiment des trésors variés qu'on pouvait y trouver :



 

 

samedi 1 octobre 2022

ARCHE de NOÉ à TRICOTER


 

ARCHE de NOÉ à TRICOTER


 

 
 
 
Les portraits animaliers qu’André Hellé conçut pour ses albums Drôles de bêtes (Ed. Tolmer, 1911) et l’Arche de Noé (Ed. Garnier, 1925) ont  souvent inspiré des travaux d’aiguilles   - broderies au point compté, canevas au point de croix, tissus appliqués etc. - le trait enfantin de l’artiste se prêtant facilement à ces minutieux exercices. Rappelons ici que Mme Angèle Hellé 1, professeure de dessin et brodeuse émérite, s’y employa la première dès 1911, en brodant "le défilé des animaux" sur les voiles de lit d’une chambre d’enfant entièrement composée par son mari, autour du thème biblique.  
 

 
C’est en passant des laines à broder aux laines à tricoter, que nous découvrons aujourd'hui cette étonnante interprétation de l'album de 1925. Une fois déplié, le majestueux leporello (hauteur : 28 cm) affiche une sélection d’images transposées au point jacquard, dans un encadrement réalisé au point de riz. Baleine, tigre, mouton, chameau, oie, éléphant, marabout et singe, TOUS se réfèrent avec tendresse et fidélité aux planches d’origine. L’illustrateur aurait apprécié cet hommage tricoté en laines chatoyantes !

 
 
 
 
 
La lecture fantaisiste de la tricoteuse et la conception originale du présent livre-accordéon 2, confirment l’esthétique de la transposition dans le respect de l’œuvre initiale. Nulle transgression dans le passage du pinceau au tricot, mais l’exploration féconde d’un autre domaine d’expression et la démonstration de la modernité graphique de M. Hellé (1871-1945), offerte à l’imagination d’autres créateurs. 
 
B. M.   

 
NB : L'image d'origine s'affiche au verso de chaque volet du leporello..
 
 
1) Angèle Hellé ( 1876-1916) transposa en broderie bien d’autres compositions de son mari - coussins, rideaux de vitrage, dossiers pour fauteuil, portière, abat-jour, frise murale etc - qu’elle exposa régulièrement au Salon d’automne, avec les oeuvres de l'illustrateur.  
 
2) Tous nos compliments à Laurence (la tricoteuse) et François Hénaff (le maquettiste), les deux virtuoses interprètes de l’album initial.
 



 

 






mardi 19 juillet 2022

À LA BELLE FERMIÈRE, histoire d'une enseigne.

 

Où l’on verra comment André Hellé (1871-1945) illustra Honoré de Balzac (1799-1850) 
 

   C’est en 1826 que paraît anonymement Le Petit dictionnaire critique et anecdotique des enseignes de Paris - par un batteur de pavé, huitième ouvrage tiré sur les presses de l’imprimerie Balzac, rue des Marais-Saint-Germain (aujourd’hui rue Visconti). Ce guide de 160 pages, très probablement écrit par Balzac lui-même, décrit de façon lapidaire et quelque peu narquoise, les séductions commerciales relevées en devanture des magasins de la capitale: enseignes peintes, banderoles flottantes, affichettes et  étalages en trompe l’oeil etc. Notons au passage, que certaines de ces enseignes  (Le Boeuf à la Mode, Le Petit Matelot ou Le-chat-qui-pelote) figureront sous peu dans les pages de la Comédie humaine.

 

    En 1945, La Nouvelle Société d’édition décide de rééditer l’ouvrage, en l’agrémentant de quelques illustrations délicatement coloriées au pochoir. 42 artistes1 sont ainsi commissionnés pour imaginer les différentes enseignes, sélectionnées en corrélation avec les épigrammes. André Hellé se voit attribuer La belle Fermière2 , une boutique de "nouveautés" (entendez "confection") établie dans le quartier de la Bastille et qui, de déménagement en expropriation, s’agrandira de l’autre côté du Pont neuf, pour devenir le grand magasin de La Belle jardinière.

 

   Hellé choisit de représenter ladite fermière sous forme d’une sobre figurine de bois tourné (à la manière d’une quille), entourée d’une basse-cour aux lignes cubistes. On reconnaît aisément le style de jouets artistiques qu’il conçut pour les Magasins du Printemps dès 1911 (seul dans un premier temps, puis avec son collègue Carlègle) et qui firent les beaux jours des catalogues d’étrennes de l’époque. Le chalet rustique et les arbres en pommes de pin de l’arrière-plan, montrent encore l’imprégnation des jouets populaires allemands qui animèrent sa jeunesse, mais son inclination moderniste le conduira à accentuer la géométrisation des volumes et déterminera son style propre. 

 

Histoire de Quillembois, soldat (Ed Berger-Levrault 1919)

   Les amateurs d’enfantina ne sont pas en reste, qui identifient en transparence la patte graphique de l’illustrateur, son mode de représentation par le jouet, et son talent à simplifier les lignes. Au fil de ses albums, André Hellé s’entêta à préserver la vision enfantine du monde qui l’entourait et revint incessamment à la Boîte à joujoux de son enfance, comme s’il souhaitait contresigner à nos yeux, sa double carrière d’imagier et de créateur de jouets. 

BM. 

 

       

                      Les Bêtes parlent (Ed Delagrave 1935)                                               Hellé-Carlègle, catalogue jouets Printemps 1918

                                                                 NOTES

 

1) 42 illustrateurs : G.Arnoux, H.Baille, S.Baudoin, Bernard, Beuville,  L.Boucher, J.Boullaire, Bourg, Brunelleschi, P.Caplen, A.Collot, J.-P.Delhumeau, Ch.-A.Edelmann, Eny, A.Foy, France Chadar, P.Fromentier, Chr. Genty, Grau-Sala, Hautot, A.Hellé, J.Hémard, Lavalley, Maès, V.Mare, H.Monier, Nelpac, N.Noël, P.Noël, Philip, J.Pichard, Poulbot, Cl.A.Ramey, Randelys, Roubille, P.Roy, Sauvayre, Serge, J.Touchet, G.Tolmer, A.Vallée et Van de Beuque.

 

2) A la Belle Fermière : confection de vêtements et de nouveautés, établi au 5-7 rue du Fg St Antoine dans le quartier de la Bastille à l'époque de Balzac. Le magasin sera transféré sur l'île de la Cité, à deux pas du marché au fleurs, sous le nom renouvelé de La Belle Jardinière (l’enseigne figurait alors une jardinière en train d'arroser des fleurs) puis sera exproprié dans le cadre de la construction de l’Hôtel Dieu (hôpital). C’est ainsi que l’enseigne franchira la Seine, pour s’établir en Grand magasin sur le quai de la Mégisserie, à deux pas du Pont Neuf. Ebranlée par la concurrence, La Belle Jardinière cessera son activité en 1972.