Avec les commémorations de 1914-18 nous allons sans doute voir ressurgir quelques lieux communs expéditifs sur Hellé
"propagandiste de la guerre", etc.
Un article d'Emmanuel Pollaud-Dullian sur le site GusBofa.com
exprime un autre point de vue.
Nous le reproduisons avec l'aimable autorisation de l'auteur :
Un aspect méconnu de l'oeuvre d'André Hellé
est sans doute sa représentation de la Grande Guerre. Certains ne
veulent y voir que du vulgaire "bourrage de crâne" et une rhétorique
guerrière sans nuance. Jean-Hugues Malineau en propose une vision plus
nuancée mais n'en rassure pas moins le lecteur : "Jamais plus, la guerre
terminée, nous ne verrons l'ombre d'un soldat, fût-il de bois,
réapparaître dans l'oeuvre de Hellé."
Signalons aux parents trop émotifs que l'on peut jouer avec des soldats
de plomb et ne pas en concevoir une vocation guerrière. A preuve H.G.
Wells, Léon Blum ou Gus Bofa.
Ajoutons que l'on peut être patriote et pacifiste, et que la plupart de
ceux qui pourrirent quatre ans dans les tranchées haïssaient la guerre
mais croyaient qu'il fallait en passer par la défaite de l'Allemagne
pour que pareille catastrophe ne se reproduise pas.
Comment reprocher à Hellé d'avoir tenté de rendre compte d'un pareil
bouleversement? Le 20e siècle ne fut-il pas ravagé par les guerres et
les révolutions?
On peut, au contraire, lui savoir gré d'avoir su créer une image de la
guerre, transposée dans le monde des jouets, qui échappe à l'outrance,
au crétinisme et à la vulgarité naturaliste de la majorité de ses
collègues. Il suffit de les comparer, par exemple, aux saynètes
cocardières, faussement naïves et sentimentales, de Poulbot. Les soldats
de bois d'André Hellé permettent aux enfants d'intégrer dans leur
univers un évènement terrifiant et incompréhensible. Ils sont
rassurants. Et Hellé de dessiner une petite fille, assise au milieu de
ses jouets, cherchant dans ce petit monde familier un réconfort à
l'angoisse de l'absence de son père.
On est aussi en droit de penser que l'artiste nous suggère que si les
conflits se réglaient à quatre pattes sur le sol d'une chambre
d'enfants, en manoeuvrant des soldats de bois, le monde s'en porterait
sans doute mieux! Pour citer Brassens, "Les seuls généraux qu'on doit
suivre aux talons, ce sont les généraux des p'tits soldats de plomb."
On conseillera donc aux adultes de lire Histoire de Quillembois soldat,
où, là encore, les jouets donnent à voir le monde, l'amour, la mort, la
guerre, ou les inégalités sociales, de façon immédiate, simple, mais
jamais naïve. On peut même trouver dans le destin funeste du pauvre
Quillembois, et son "retour sans gloire", une image de la difficulté des
combattants à se réintégrer dans la vie civile. Image singulièrement
actuelle...