mardi 19 juillet 2022

À LA BELLE FERMIÈRE, histoire d'une enseigne.

 

Où l’on verra comment André Hellé (1871-1945) illustra Honoré de Balzac (1799-1850) 
 

   C’est en 1826 que paraît anonymement Le Petit dictionnaire critique et anecdotique des enseignes de Paris - par un batteur de pavé, huitième ouvrage tiré sur les presses de l’imprimerie Balzac, rue des Marais-Saint-Germain (aujourd’hui rue Visconti). Ce guide de 160 pages, très probablement écrit par Balzac lui-même, décrit de façon lapidaire et quelque peu narquoise, les séductions commerciales relevées en devanture des magasins de la capitale: enseignes peintes, banderoles flottantes, affichettes et  étalages en trompe l’oeil etc. Notons au passage, que certaines de ces enseignes  (Le Boeuf à la Mode, Le Petit Matelot ou Le-chat-qui-pelote) figureront sous peu dans les pages de la Comédie humaine.

 

    En 1945, La Nouvelle Société d’édition décide de rééditer l’ouvrage, en l’agrémentant de quelques illustrations délicatement coloriées au pochoir. 42 artistes1 sont ainsi commissionnés pour imaginer les différentes enseignes, sélectionnées en corrélation avec les épigrammes. André Hellé se voit attribuer La belle Fermière2 , une boutique de "nouveautés" (entendez "confection") établie dans le quartier de la Bastille et qui, de déménagement en expropriation, s’agrandira de l’autre côté du Pont neuf, pour devenir le grand magasin de La Belle jardinière.

 

   Hellé choisit de représenter ladite fermière sous forme d’une sobre figurine de bois tourné (à la manière d’une quille), entourée d’une basse-cour aux lignes cubistes. On reconnaît aisément le style de jouets artistiques qu’il conçut pour les Magasins du Printemps dès 1911 (seul dans un premier temps, puis avec son collègue Carlègle) et qui firent les beaux jours des catalogues d’étrennes de l’époque. Le chalet rustique et les arbres en pommes de pin de l’arrière-plan, montrent encore l’imprégnation des jouets populaires allemands qui animèrent sa jeunesse, mais son inclination moderniste le conduira à accentuer la géométrisation des volumes et déterminera son style propre. 

 

Histoire de Quillembois, soldat (Ed Berger-Levrault 1919)

   Les amateurs d’enfantina ne sont pas en reste, qui identifient en transparence la patte graphique de l’illustrateur, son mode de représentation par le jouet, et son talent à simplifier les lignes. Au fil de ses albums, André Hellé s’entêta à préserver la vision enfantine du monde qui l’entourait et revint incessamment à la Boîte à joujoux de son enfance, comme s’il souhaitait contresigner à nos yeux, sa double carrière d’imagier et de créateur de jouets. 

BM. 

 

       

                      Les Bêtes parlent (Ed Delagrave 1935)                                               Hellé-Carlègle, catalogue jouets Printemps 1918

                                                                 NOTES

 

1) 42 illustrateurs : G.Arnoux, H.Baille, S.Baudoin, Bernard, Beuville,  L.Boucher, J.Boullaire, Bourg, Brunelleschi, P.Caplen, A.Collot, J.-P.Delhumeau, Ch.-A.Edelmann, Eny, A.Foy, France Chadar, P.Fromentier, Chr. Genty, Grau-Sala, Hautot, A.Hellé, J.Hémard, Lavalley, Maès, V.Mare, H.Monier, Nelpac, N.Noël, P.Noël, Philip, J.Pichard, Poulbot, Cl.A.Ramey, Randelys, Roubille, P.Roy, Sauvayre, Serge, J.Touchet, G.Tolmer, A.Vallée et Van de Beuque.

 

2) A la Belle Fermière : confection de vêtements et de nouveautés, établi au 5-7 rue du Fg St Antoine dans le quartier de la Bastille à l'époque de Balzac. Le magasin sera transféré sur l'île de la Cité, à deux pas du marché au fleurs, sous le nom renouvelé de La Belle Jardinière (l’enseigne figurait alors une jardinière en train d'arroser des fleurs) puis sera exproprié dans le cadre de la construction de l’Hôtel Dieu (hôpital). C’est ainsi que l’enseigne franchira la Seine, pour s’établir en Grand magasin sur le quai de la Mégisserie, à deux pas du Pont Neuf. Ebranlée par la concurrence, La Belle Jardinière cessera son activité en 1972.

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